pendant la Fuite en Égypte.


Du Piémont, en descendant vers Nice puis remontant jusqu’en Savoie, dans ce qui était alors les états de la Maison de Savoie, cinq chapelles ou église conservent encore des cycles de peintures représentant les épisodes de l’enfance du Christ ou de la vie de la Vierge et plus spécifiquement, ceux de La Fuite en Égypte.
Datés du XVème et du début du XVIème siècles, ils ont été peints par des ateliers itinérants, originaires du Piémont ou alentour, se déplaçant au gré des commandes.
Ils ont tous en commun de raconter ces épisodes dans des cases, des peintures autonomes et juxtaposées, séparées par des traits ou des bandes décorées qui les délimitent, souvent sur plusieurs registres.

Et chacune des cases de la Fuite en Égypte reproduit les mêmes deux épisodes du miracle du palmier dattier et du miracle des blés, ce qui nous permet, dans une étude comparative et chronologique, de voir comment ces peintres ont fait évoluer leurs iconographies, ensemble ou séparément dans l’espace qui leur était alloué.
Le miracle du palmier, déjà représenté dans la peinture du musée Correr, est raconté dans l’Évangile du Pseudo-Matthieu[1]. Au troisième jour du voyage vers l’Égypte, Marie, fatiguée par la chaleur du désert, affamée et assoiffée, se repose à l’ombre d’un palmier. Voyant les fruits de l’arbre, Jésus demande au palmier de se pencher pour donner ses dattes, une source jaillit et la famille peut se désaltérer et se rassasier.
Quant au miracle des blés, représenté dès le XIIIème siècle dans les miniatures, il n’est cité que plus tard chez les chroniqueurs[2]. Peut-être vient-il d’un texte apocryphe perdu aujourd’hui ou bien a-t-il été inventé et devant son succès, transmis oralement puis écrit ?
L’histoire est astucieuse : pourchassée par les soldats d’Hérode, la Sainte Famille rencontre un paysan qui sème son champ. Jésus lui conseille alors de répondre aux soldats qui sûrement allaient l’interroger, qu’il avait effectivement vu passer des voyageurs « quand il semait son blé ». Mais, en partant, l’enfant fait rapidement mûrir les épis et les soldats, voyant ce champ prêt à être moissonné, s’en retournent pensant avoir raté les fuyards. Ainsi, la Sainte Famille fût sauvée !
Au fil des années, ces deux miracles ingénieux firent peu à peu une paire que l’on retrouve toujours représentée dans les cycles des chapelles rurales.
Quant à savoir pourquoi les peintres des XVème siècles qui ont décoré ces chapelles ont choisi parmi les miracles décrits par les Apocryphes, le miracle des blés ou celui du palmier plutôt que celui des dragons ou des lions qui s’agenouillent devant l’enfant ou la chute des statues des idoles, la question peut se poser. Il est fort probable qu’outre la difficulté de dessiner des lions ou des dragons qu’ils n’avaient jamais vus, ces peintres, à la suite des peintres plus savants dont ils s’inspiraient, ont préféré illustrer des miracles qui concernaient la vie quotidienne des fidèles qui fréquentaient ces églises. La portée de tels miracles en devenait sans aucun doute plus forte dans ces communautés rurales où un arbre qui se plie aux désirs d’un enfant et des blés à la « maturation instantanée » allaient à l’encontre des phénomènes de la nature qu’ils observaient tous les jours…
Remarquons aussi que dans chacune des représentations populaires de cette Fuite en Égypte survenue au premier siècle de notre ère, et à l’exception de la Vierge qui porte une robe et un manteau qui pourraient être d’époque, chacun des personnages, Joseph, paysan ou soldats, est vêtu à la mode du temps où ils ont été peints.
Cette « incongruité temporelle », peu remise en question par les peintres, les prêtres ou les fidèles, permettait probablement une meilleure compréhension et identification des fidèles qui regardaient et s’appropriaient cette scène touchante de l’enfance du Christ.
[1] Évangiles apocryphes. I. Protévangile de Jacques, Pseudo-Matthieu, Évangile de Thomas, textes annotés et traduits par Charles Michel. Histoire de Joseph le Charpentier, rédactions copte et arabe traduites et annotées par P. Peeters. Consulté sur https://archive.org/details/EvangilesApocryphesPeeters1/page/116/mode/2up.
[2] Poucet, Jacques, La Fuite en Égypte chez Jean d’Outremeuse, chroniqueur liégeois du XIVème siècle. Consulté sur https://bcs.fltr.ucl.ac.be/fe/28/egypt_mm/Egyptien/Juxta.htm#chemin_
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