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À propos de l'exposition "Les origines du monde"

Dernière mise à jour : 12 juil. 2021


L’exposition "Les origines du monde, l’invention de la nature au XIXe siècle » du musée d’Orsay raconte l’apparition des nouvelles théories sur l’origine de l’homme au XIXe siècle, Darwin bien sûr mais aussi Haeckel et d'autres disciples . Extrêmement intelligente, elle nous emmène sans difficulté et progressivement dans le monde des découvertes scientifiques. Mais elle sait aussi faire des liens, montrer l’impact de ces découvertes dans les arts ou même le cinéma, depuis les films de Méliès jusqu’à Jurassic park, du XIXe siècle à aujourd'hui …

En réalité, l’impact de ces découvertes ne se constata pas qu’au niveau scientifique ou même dans les arts dits savants. Elles secouèrent la France catholique toute entière ; Dieu ayant créé l’homme à son image, d’une manière unique, définitive et parfaite, toute suggestion d’évolution est donc la négation d’un ordre divin et l’objet de violentes réactions de l’Église. Dans une France soumise à l’influence prédominante et permanente du religieux, les idées nouvelles sont l’objet, dans un premier temps, de quolibets et de moqueries. Ces idées sont impensables et impossibles.

Mais elles cheminent indubitablement.

Et il était improbable que les éditeurs des « images d’Épinal », média encore très présent dans cette deuxième moitié du XIXe siècle, ne se saisissent pas de ces nouvelles fracassantes.



Des bê...tises, coll. MIE, dépôt MDAAC

Preuve en est cette image dessinée en 1875 par Gilbert Randon pour Pellerin et Cie, l’imagier d’Épinal, destinée par sa grande diffusion à atteindre toutes les classes de la société.

Gilbert Randon (Lyon, 1814- Paris, 1884), pseudonyme de Gilbert Randonensberg, a été tout d’abord apprenti-lithographe puis chasseur à cheval dans l’armée où il se plaît à dessiner ses condisciples pour enfin ouvrir un atelier de photographie à Lyon en 1842[1].

En 1850, à l’appel de son cousin photographe Félix Tournachon dit Nadar (Paris 1820- 1910), il part à Paris où il se consacrera désormais au dessin de presse. Il travaille pour le Journal pour rire de Philippon, puis au Journal amusant, mais aussi au Monde illustré et à L’Illustration.

Ses dessins-charge de Gustave Courbet réunis dans trois pages du Journal amusant du 15 juin 1867[2] suite à l’exposition personnelle du peintre au rond-point du Pont de l’Alma sont des caricatures féroces !

Les imagiers qui éditent des images en feuille comme en Lorraine, Pellerin à Épinal ou Haguenthal à Pont-à-Mousson, vont pour se mettre à la mode commander ou même acheter des images déjà parues aux dessinateurs qui travaillent dans ces journaux parisiens. Au fil du siècle, ils éditeront ainsi des images signées de Gabriel Gostiaux dit Phosty, Benjamin Rabier, Georges Bigot, Caran d’Ache, Marius Rossillon dit O’Galop ou J. M. Onfray de Bréville dit Job, pour les plus connus.

Élie Haguenthal qui installe son imprimerie à Pont-à-Mousson en 1849 et poursuivra son activité jusqu’en 1881 pour être ensuite racheté par Marcel Vagné et se délocaliser à Jarville, édite des images d’actualités, des images comiques ou à l’attention des enfants sous le label Imagerie nouvelle.


En 1860, il commande des dessins à Gilbert Randon pour un volume intitulé Bêtes, bêtises et boutades[3]. Chacun des quarante-huit dessins met en scène des animaux humanisés dans des situations cocasses et stigmatisant les bêtises … des hommes, ce que les animaux humanisés ont en charge de faire le plus souvent d’ailleurs !

Les incertitudes sur notre origine apparaissent déjà en 1860 : l'image "Ou l'esprit va-t-il se nicher!" ne s'interroge-t-elle pas sur les nouvelles théories sur l'hérédité développées par Gregor Mendel (1822-1884) ?






C’est probablement à la suite de cette parution et dans ces mêmes années que son concurrent à Épinal, Pellerin et Cie, demande à Gilbert Randon de lui créer une image humoristique qu’il intitule aussi Des bê...tises et que Pellerin édite en lithographie coloriée au pochoir.

Randon pour ce faire reprend la même recette des animaux humanisés dans sept vignettes. Altercations entre oiseaux poissonnière et vendeuse de beignets (« Prise de becs »), entre deux chiens-chiffonniers, entre un dogue-concierge et un renard rusé, un cochon repu et un singe quémandeur (« Chacun pour soi. (Morale des…repus !) » ou entre un chasseur-chien et un ours, chacune étant sous-titrée d’un texte qui explicite la scène.

Trois des vignettes nous ramènent à l’exposition "Les origines du monde" d’Orsay et montrent bien les interrogations que ces découvertes scientifiques ont suscitées dans tous les milieux y compris chez les clients des images dites populaires.


La première intitulée « L’évolution des espèces ou chacun son tour » fait évidemment référence à The Origins of species by means of natural selection, or the preservation of favoured races in the struggle for life de Charles Darwin (1809-1882) paru en 1859. Après une première traduction controversée en 1862, la traduction française approuvée par Darwin paraît en 1873 sous le titre L'Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou La lutte pour l'existence dans la nature, chez l’éditeur Reinwald.


Randon reprend dans cette première vignette, plus que le jeu des animaux humanisés, le principe bien connu des imageries des Mondes à l’envers où la scène du « monde à l’endroit », la normalité, est inversée dans le « monde à l’envers».


Le monde à l'envers, 1879, coll. MUCEM.

Il dessinera d’ailleurs pour Pellerin en 1879 une image intitulée Le monde à l’envers et sous –titrée « Comme la culotte du roi Dagobert, en rêve j’ai vu le monde à l’envers, spectacle bizarre et des plus comiques, reproduit ici en traits véridiques » ! Mais bien évidemment, rien n'est "véridique" dans ces images sinon le monde à l'endroit décrit en creux...! Il y mêle vrais « mondes à l’envers » et animaux humanisés, symptôme d’une progressive incompréhension et altération du thème primitif qui ne considérait que les rapports entre deux protagonistes et mettant en scène des rapports de force[4].


Dans la première vignette de Les bê…tises, un ours montreur de foire tient en laisse un homme vêtu de peau de bête et pourvu d’une queue, non seulement martyrisé mais aussi revenu à l'âge de pierre.

Ces images ont toujours été les symptômes de l’inquiétude que suscitaient les situations improbables mais possibles telles les femmes battant leur mari ou allant à la chasse alors que l’homme change la couche des enfants ; ou bien, lorsque l’âne montait sur le dos du fermier ou le cochon tuait le charcutier, elles remettaient en question le droit de l’homme à martyriser ou tuer les animaux...

Cette scène « Chacun son tour » ne déroge pas et sous couvert d’humour, elle montre bien en parodiant le titre de Darwin la crainte et les incertitudes qu’a apportées la parution du livre ou du moins, sa vulgarisation très souvent erronée.


La deuxième vignette représente une famille de singes humanisés dite « Les rois de la création avant l’homme (suivant certains) » alors que la sixième montre chien, singe et renard discutant « Au bois de Boulogne… dans quelques mille ans (suivant d’autres) ». La distinction entre «certains» et « d’autres »est un indice des polémiques et les peurs déclenchées par les théories mal comprises de Darwin et ses suiveurs : nos ancêtres sont des singes et l’homme sera remplacé dans quelques mille ans par des animaux ! La perspective a dû effrayer plus d’un acheteur de l’image !

Pour en revenir à l’exposition-sujet de notre article, l’impact de ces nouvelles théories a donc bien atteint, même si peu scientifiquement, toutes les couches de la société grâce, entre autres, aux images dites d’Épinal.


N.B : Félicitations aux commissaires de cette exposition qui ont su accompagner vers la sortie le visiteur, concluant le propos mais lui donnant aussi grain à moudre. Et cette attention (Vous séparez-vous de quelqu’un qui a passé deux heures en votre compagnie sans le saluer ? Sans compter que la conclusion est essentielle à toute démonstration...) est pratiquement absente de toutes les autres expositions. Vous sortez de «Elles font l’abstraction » au Centre Pompidou sans même vous en rendre compte, des dernières œuvres au couloir sans transition! Dommage.


[1] GODARD, Justin, Gilbert Randon de Lyon, dessinateur et chansonnier, in Revue d’histoire du XIXe siècle, 1938/ 164, tome 35. Consulté sur Persee.fr. [2] Voir les articles du blog Les images populaires et Gustave Courbet, à propos de La Rencontre. [3] En lithographie, format à l’italienne 168 x 263 mm., [4] Voir le catalogue du Musée de l’Image, Connivence 2 : Mondes à l’envers, Patrick Neu, 2011.

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