ou les ruses et astuces des peintres au 19e siècle [1]…
Ce texte n’a rien de coquin à moins qu’un sourire ne le soit… C’est surtout un inventaire très partiel et très personnel[2] des ruses et subterfuges inventifs qu’ont déployés les peintres pour contourner la censure et éviter de représenter le sexe masculin au 19e siècle. Au fil de mes visites d’églises et de musées…
Au 19e siècle, représenter un homme « vraiment tout nu » dans la peinture (et plus spécialement dans les peintures d’église[4]) n’était guère envisageable. Les peintres, pour cacher le sexe masculin au public, ne pas offenser les regards (féminins surtout), devaient avoir recours à des astuces qui deviennent amusantes lorsqu’on les voit aujourd’hui.
Bien sûr, les dessins préparatoires des peintures, les Académies exécutées « selon le modèle» nous montrent aujourd’hui des hommes nus mais ces dessins restaient dans l’atelier du peintre ou chez des collectionneurs privés.
Le plus souvent, le rhabillage ou le camouflage étaient de mise pour une présentation publique…
Alors, comment faire lorsqu’obligation était de représenter Adam ou les héros de l’Antiquité grecque ou romaine obligatoirement nus comme les récits l’affirmaient ?
J. L. DAVID, Les Sabines, coll. Musée du Louvre.
Dans Les Sabines, immense tableau[5] peint entre 1796 et 1799 et exposé dès cette date au Louvre, Jacques-Louis David (1748- 1825) fameux chef de file du mouvement néo-classique représente une scène de guerre antique. On y voit les femmes sabines tentant de séparer Romulus et les Romains (qui les avaient enlevées) de Tatius et les Sabins (venant récupérer leurs filles et leurs compagnes). Peinture « romaine », la nudité de ces fiers soldats des deux camps était une « nécessité historique ».
L’évitement est sa première solution : David peint Romulus et son bouclier de dos, la vision des fesses musculeuses n’étant apparemment ni érotique ni litigieuse.
Une deuxième solution - il n’a inventé ni l’une ni l’autre bien sûr !- est de choisir une posture du corps qui cache la partie « problématique ». Ainsi, le jeune soldat qui garde le cheval se tient la cuisse droite en avant.
Jean-Auguste -Dominique Ingres (1780-1867), élève de David, pour son Œdipe et le sphinx
en 1808, choisit lui aussi ce procédé.
Ou encore, en 1837, Hippolyte Flandrin (1809-1864), élève d’Ingres, pour son iconique Jeune homme nu au bord de la mer du Musée du Louvre qu’il représente assis et serrant ses genoux dans ses bras.
H. FLANDRIN Jeune homme nu […], coll. musée du Louvre
INGRES, Œdipe et le sphinx, coll. musée du Louvre
… Ou bien, en 1835, pour son Jeune berger assis du Musée des Beaux-arts de Lyon, où il utilise les mains du jeune modèle pour cacher son sexe.
H. FLANDRIN, Jeune berger assis, coll. MBA Lyon.
Une autre solution, appliquée toujours par David pour le fier Titus Tatius des Sabines (à gauche dans le tableau), affrontant le danger et donc à représenter de face, est de cacher le sexe par un objet qui, fort opportunément, vient se placer devant lui - dans ce cas le fourreau vide de son épée dégainée qu’il tient dans sa main droite. Fourreau qui d’ailleurs (et pour notre parfaite information !) se nommait en latin vagina...[7]
Épée et fourreau seront reconvoqués par Joseph- Désiré Court [8] (1797-1865) en 1820 dans son grand tableau [9] aujourd’hui au musée des Beaux-arts de Rouen, Achille présenté à Nestor. Le bel et « bouillant » Achille- il est le seul nu et capte toute la lumière et l’attention dans le tableau- se tient debout devant le vieux et sage roi de Pylos.
Joseph- Désiré COURT, Achille présenté à Nestor, 1820, coll. MBA de Rouen.
Venu sans intention meurtrière, Achille porte en bandoulière son épée glissée dans son fourreau et c’est la pointe de ce fourreau qui vient commodément camoufler son sexe. Fourreau dont la position n’est pas sans rappeler (vous en conviendrez) l’érection honnie dans les tableaux….
Mais bien d’autres subterfuges ont été utilisés.
Un des plus simples est le pan de tissu qui dissimule partiellement le corps du héros.
Pan de toge, de drap ou même de fourrure [10] qui vient très artificiellement se glisser entre ses jambes. Parmi les innombrables tableaux possibles, citons Samson livré aux Philistins par Dalila de la collection de l’École nationale supérieure des beaux-arts peint en 1822 par le même Joseph-Désiré Court.
J. D. COURT, Samson livré aux Philistins par Dalila, 1822, coll. ENSBA, Paris.
P.P. GLAIZE, Samson rompant ses liens, coll. MBA Mulhouse.
Ou bien, pour illustrer la suite de l’histoire de ce même Samson et sa vengeance, Pierre Paul Léon Glaize (1842- 1931) qui, en 1859, dans son théâtral (et inénarrable) Samson rompant ses liens[11]du Musée de Mulhouse, représente le héros de profil, cheveux au vent, dans une position presque « dansée », se dirigeant vers ses gardes philistins effrayés.
Du lit où il était couché et ligoté et où est encore étendue une Dalila apeurée, il a entraîné un drap qui, tenu fort à propos mais peu vraisemblablement par les cordes qui le ligotaient, lui cache le sexe.
L'aide des animaux peut aussi être sollicitée. Jacques-Louis David utilise en 1824, deux colombes se becquetant qu’il a posées sur les genoux de Mars, dans son Mars désarmé par Vénus des Musées royaux des Beaux-arts de Belgique à Bruxelles.
J. L. DAVID, Mars désarmé par Vénus, 1824, coll. Musées royaux des Beaux-arts, Bruxelles.
Bien sûr, et spécifiquement pour représenter Adam et Ève, il est toujours possible d’utiliser les vieux classiques : la feuille de vigne ou le branchage.
Alexandre Cabanel (1823-1889) en 1867 dans son Paradis perdu [12]de la collection du Musée d’Orsay dépeint nos deux ancêtres dévastés par la fureur de Dieu. La blanche Ève agrippée à un Adam pas vraiment courageux, caché derrière un tronc et le regard fuyant, sont tous les deux parés d’un très habituel feuillage.
Alexandre CABANEL, Le paradis perdu, 1867, coll. Musée d’Orsay.
F.L. FRANCAIS, Adam et Ève chassés du paradis, église de la Trinité, Paris. Esquisse, détail, coll. Musée du Petit Palais, Paris.
Quant à François-Louis Français (1814-1897), il peint en 1877 pour une chapelle latérale de l’église de la Trinité à Paris, deux immenses toiles dont Adam et Ève chassés du paradis [13]. Abandonnant ses classiques, il se sert de l’abondante chevelure d’Ève qui fuit l’archange furieux pour camoufler le sexe d’Adam.
Pour Ève, c’est un bosquet qui cache sa nudité, peu décente il faut l’avouer dans une église !
C’est toujours Ève qui est mise à contribution et cache avec sa tête le sexe d’Adam dans la petite peinture de Jean-Jacques Henner (1839-1908) Adam et Ève trouvant le corps d’Abel peint en 1858 et aujourd’hui dans les collections du musée d’Orsay. Étonnamment, le jeune Abel assassiné est entièrement nu mais le format de l’œuvre environ 32 X 24 cm, laisse présumer qu’il s’agit d’une esquisse ou bien qu’elle fût destinée à un usage privé. Ceci étant, même nu, la « représentation » reste modeste, Abel étant à la fois jeune et mort…
J.J. HENNER, Adam et Ève trouvant le corps d’Abel, 1858, coll. musée d'Orsay.
Un des plus sympathique (et drôle) subterfuge est utilisé par Hippolyte Flandrin lorsqu’il peint entre 1842 et 1863, le décor de l’église de Saint-Germain-des-Prés à Paris. Surmontant les arcades des bas-côtés de la nef, vingt scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament ont été récemment restaurées et ont retrouvé leurs couleurs vives d’origine (à voir absolument).
Parmi elles, Jonas, à peine rejeté par la baleine (étonnante et monstrueuse) qui l’avait avalé trois jours et trois nuits auparavant et que l’on voit en arrière-plan, lève les bras au ciel pour remercier Dieu de ce miracle[14]. Nu, c’est le rouleau d’une vague écumeuse qui fort à propos vient cacher le sexe du prophète !
H. Flandrin, Jonas, église Saint-Germain-des-Prés, Paris.
Fourreau d’une épée, tissus, colombes, cheveux ou vague… Bien d’autres trucs ont été utilisés par les peintres. À vous de les découvrir aussi. Avec le sourire.
C’est un remède radical à la morosité !
À visiter : Église de la Trinité à Paris, m° Saint Lazare. Église Saint-Germain-des-Prés, M° Saint-Germain-des-Prés, Musée du Louvre. Musée de Mulhouse. Musée des Beaux-arts de Lyon, Musée d’Orsay, Musée des Beaux-arts de Rouen …
[1]En plagiant le Tartuffe de Molière… [2] J’ai appris, depuis l'écriture de ce texte, qu’un livre avait été édité sur le sujet Cache-sexe, de Sylvie Aubenas et Philippe Comar, éd. La Martinière, 2014. [4] Jacqueline Salmon vient de proposer une exposition à Arles et un remarquable catalogue sur les représentations du perizonium du Christ en croix, sujet et personnage que nous n’aborderons pas dans cet article. [5] 385 x 522 cm, coll. Musée du Louvre. [6] Coll. Musée du Louvre [7] ABOUDRAR Bruno Nassim, De la verge et ses représentations dans les beaux-arts et les sciences de l’homme, in Savoirs et cliniques, 2006/1, consulté sur Cairn.info [8] Merci à Jacqueline Salmon… [9] 114.5 x 147.5 cm [10] Pour La mort d’Abel, de François-Xavier Fabre, coll. Musée Fabre, Montpellier. [11] 104 x194 cm, coll. MBA Mulhouse. Toile éditée ensuite par Goupil et Cie en 1866. [12] Réplique d’un décor conçu pour le Maximilianeum de Munich [13] Des esquisses peintes sont conservées dans la collection du Petit Palais à Paris. [14] Matthieu 12,40.
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