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Pierre Mignard. La peinture comme modèle 3

Dernière mise à jour : 11 nov. 2022

Le Baptême du Christ de Pierre Mignard à Troyes ou Nuage 5


Contemporain de Charles le Brun, d’Eustache le Sueur, de Nicolas Poussin qu’il a rencontré à Rome et de Molière dont il devient l’ami, Pierre Mignard (Troyes 1612- Paris 1695), portraitiste et peintre d’histoire, a été appelé en 1657 à Paris par Louis XIV qui le fait travailler à Versailles et le nommera à la mort de Lebrun en 1690, premier peintre du Roy.



Il peint en 1666 pour le majestueux maître-autel de l’église Saint-Jean-au-marché de Troyes[1] où il a été baptisé, un Baptême du Christ, accompagné d’un Père céleste placé dans la partie haute du retable( fig. 1). Selon l’évangile de saint Luc 3-22, lorsque Jésus est baptisé, le ciel s’ouvre et le Saint-Esprit descend sur lui sous la forme d’une colombe. C’est ce moment que choisit Pierre Mignard pour ce Baptême du Christ dont l’iconographie reste très influencée par les peintures italiennes qu’il a pu voir lors de son long séjour en Italie entre 1635 et 1657 .



En effet, on retrouve la même construction dans deux peintures italiennes aujourd’hui en France dont, au musée des Beaux-arts de Nantes, un Baptême du Christ par Ottavio Vannini (Florence 1585-1643), peintre florentin qui l’a peint pour Lorenzo di Medici (fig.2). Mignard aurait pu (peut-être !) voir le tableau lors de son séjour italien entre 1635 et 1657 et son voyage à Modène en 1654-1655, où semble-t-il, il appartenait alors aux collections du Duc d’Este de Modène. On sait qu’il a fait partie des saisies révolutionnaires à Modène en 1796 et qu’après avoir été exposé au Musée Napoléon, il fût mis en dépôt à Nantes en 1809 (notice du MBA).

Le MBA de Caen conserve quant à lui une œuvre de Il Baciccio (Gênes 1639- Rome 1709) dont la construction et la posture choisie pour Dieu le Père sont semblables[2].


Quelques mois plus tard, en 1667-1668, Colbert confie à Mignard les murs de la chapelle des fonts-baptismaux de l’église Saint-Eustache à Paris, l’église la plus noble et en vue de la capitale.

Le peintre les décore d’une copie de son premier Baptême du Christ et d’une Circoncision, en pendant. Ces peintures murales furent malheureusement détruites vers 1750 lors de la construction d’un nouveau portail de l’église. Cependant, comme beaucoup de peintures illustres, le Baptême du Christ parisien fût abondamment reproduit par les graveurs dont les estampes nous en gardent aujourd’hui le souvenir.



La comparaison du tableau de Troyes (fig.3) avec les gravures de la peinture de Saint-Eustache disparue, par exemple celle du graveur en taille-douce Claude Duflos (1665- Paris 1727) (fig.4), éditée par Gérard Audran (1640- 1703), graveur et marchand rue Saint-Jacques à Paris à l’enseigne « aux deux piliers d’or » [3], montre les variations que le peintre a apportées entre les deux versions : si les postures de Jean le Baptiste sur la grève et de Jésus, les pieds dans le Jourdain, restent semblables, le deuxième ange attend désormais avec un linge blanc pour envelopper Jésus lorsqu’il sortira de l’eau. Les groupes des angelots qui regardent la scène, dont l’un s’est fortement modifié, se sont aussi inversés dans la peinture de Saint-Eustache.


Dans les nuages


À Troyes, le monde divin, au ciel ( fig.5), est occupé par trois groupes de chérubins aux ailes bleues, perchés sur des nuages ouateux et rebondis, qui s’amusent et s’émerveillent.

À gauche, l’un à plat ventre se penche pour mieux voir la scène et son compagnon dont le pagne rouge vole dans le vent, les pieds dans le vide, se cramponne au rebord du nuage pour ne pas tomber ( ses ailes devraient l'en empêcher !). À droite, un petit blond semble signaler à son camarade accroché au nuage, le passage de la colombe. Un autre groupe plus lointain de quatre angelots émerveillés sont éclairés par la lumière du ciel.

Si, dans la partie basse du tableau, le peintre a représenté une scène avec tout le sérieux que nécessite son sujet, il semble s’être amusé en partie haute en peignant des chérubins délurés et aux postures acrobatiques, moins sérieux et angéliques qu’ils ne devraient l’être.


Et si habituellement Dieu le Père est peint sur la même toile ( voir le Baptême du Christ d’Ottavio Vannini fig. 2) Mignard a choisi un autre parti-pris. Isolé dans la partie haute du retable et entouré des mêmes angelots, il semble prendre son envol au-dessus du nuage qui devrait le soutenir, les bras écartés et la cape gonflée par le vent, comme s’il essayait de rejoindre la scène qui se déroule sous lui… (fig.6) Posture insolite qui n’est pas sans rappeler aux iconoclastes d’aujourd’hui celle de Superman, super-héros à la cape créé par Jerry Siegel et Joe Shuster en 1933[4]… !


Si l’on revient- plus sérieusement- à l’œuvre de Pierre Mignard pour Saint-Eustache, elle est grâce à la gravure, savante puis populaire, la source de nombreuses peintures réalisées pour les chapelles baptismales des églises de province, avec plus ou moins de variations et de talent !


fig.7: Baptiste I Nouailher, coll. MBA Troyes

L’œuvre de Mignard est aussi déclinée en tapisserie, en céramique, en émail : Les Nouailher, Pierre II[5] ou Baptiste I[6] (fig.7), dynastie de peintres en émail sur cuivre à Limoges, réalisent de nombreuses plaques pour des bénitiers de chevet, des coffrets, des objets de dévotions privées.
















Se servant comme modèle des gravures parisiennes comme celles éditées par Gérard Audran puis vers 1750, par André Basset[7] (fig. 8, coll. part. ), tous deux domiciliés comme de nombreux marchands d’images rue Saint-Jacques à Paris, les imagiers de province vont à leur tour diffuser cette représentation pour leurs feuilles populaires du Baptême du Christ ou glorifiant Saint Jean Baptiste.

Les fabriques d’images de Chartres, Nantes, Le Mans, Épinal , Belfort, entre autres, reprendront la scène, à l’endroit ou en contrepartie[8], gardant les angelots ou la colombe du Saint-Esprit seulement, l’agrémentant de palmiers ou d’auréoles, selon les capacités de leurs graveurs en bois[9]




Ainsi, en 1822, Pellerin à Épinal appelle son image Baptême de Notre-Seigneur (fig.9, coll. MUCEM) et ne garde que les deux personnages centraux et la colombe du Saint-Esprit qu'il magnifie par un rayonnement colorié de jaune.

En revanche, vers 1835, la fabrique de la Veuve Roiné ainé, fabricante de cartes et de dominoterie à Nantes, l'intitule Grandeurs de saint Jean Baptiste et reprend beaucoup plus de détails dont les anges facétieux des nuages. (fig. 10, coll. MUCEM),

Bien sûr, aucun des acheteurs ne sait l’origine de l'iconographie de la feuille de saint qu’il vient d’acheter , les imagiers ne le disent pas– à quoi cela servirait-il ?- il n’en reste pas moins que ce modèle à succès vient rejoindre la « bibliothèque d’images » commune à tous les Français, avec ceux de La Descente de Croix de Rubens, des Saint Michel de Raphaël ou de Guido Reni… et bien d’autres.

Dans vos visites des églises ou des musées, prenez le temps de regarder.

Vous en trouverez sûrement, avec ou sans chérubins cramponnés aux nuages !

[1] À voir absolument. L’église est ouverte du mercredi au dimanche. Vérifier avec l’O.T. qui édite des plaquettes +++ pour chaque église de Troyes. [2] À consulter sur le site du musée. Voir aussi le Baptême du Christ d’Annibale Carraci, Église SS Gregorio e Siro, Bologna. [3] Coll. Musée de la faïence, Nevers. ou Coll. MBA Rennes, Inv 794.1.6524. [4] Voir l‘article de Harry Morgan dans le blog, Nuage 6. [5] Coll. Musée des Beaux-arts et d’archéologie, Châlons-en-Champagne. [6] Coll. Musée des Beaux-arts, Troyes. [7] fig. 8: Baptême de J.C. par St Jean, Gravé par Crépy. À Paris chez Basset, rue Saint-Jacques, N°64. [8] Lors de la taille, le dessin n’est pas retourné. Imprimé, il est donc à l’envers par rapport à l’image originale. [9] Voir le catalogue du Musée de l’Image à Épinal, Ni tout à fait la même, Ni tout à fait une autre, 2009, pp. 45-56. et les sites de collections du Musée de l'Image, Épinal et du MUCEM à Marseille.

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