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Une peinture de saint Sébastien à Bessans en Maurienne. De la Bavière à la Savoie

Dernière mise à jour : 22 août


La peinture comme modèle 5.


 Ce texte a originellement été écrit pour le site de Bessans, jadis et aujourd'hui.

 


Fig. 1 et 2, clichés BJA.

 La chapelle Saint-Sébastien (Fig. 1) à Bessans se trouve à la croisée des rues du Petit Saint-Jean et de Saint-Sébastien : elles se rejoignent pour former la rue de Saint-Etienne qui s’éloigne vers le haut de la vallée et le col de l’Iseran. Isolé dans ce carrefour des « trois saints », le petit édifice tourne sa façade vers le centre du village.



Sous l’auvent du toit en avancée, une peinture datée de 1846 présente, dans un paysage, un saint Sébastien et un saint Roch peu reconnaissable (Fig. 2) : ils entourent une Vierge à l’Enfant blottie dans un écrin de nuages dodus symbolisant le ciel d’où elle protège les Bessanais. Bien que la chapelle soit dédiée à saint Sébastien, ce saint est donc, comme souvent, accompagné de saint Roch puisqu’ensemble ils ont été traditionnellement chargés de protéger les villageois de la peste. C’est à l’intérieur de la chapelle que se trouve la peinture Le martyre de Sébastien (Fig. 3) dans un cadre peint très baroque de colonnes torsadées et d’angelots.

 

Fig. 3, cliché M.S.


Saint Sébastien, un saint protecteur.

Chapelle Saint-Sébastien de Lanslevillard, chapelle Saint-Sébastien de Bonneval…  D’Albertville aux confins des deux vallées de Savoie, les nombreux lieux de culte, chapelles ou oratoires voués à ce saint montrent aujourd’hui combien sa protection était bienvenue contre ces épidémies de peste qui faisaient des ravages jusque dans ces villages de montagne. Les nombreux voyageurs venant ou se dirigeant de France, de la Tarentaise ou du Piémont amenaient la maladie et les communautés villageoises, démunies et décimées par ces épidémies, retrouvaient difficilement un équilibre.   En 1571, les édiles de Granier en Tarentaise avaient bien ordonné de repousser les gens voisins de Bourg-Saint-Maurice « pour rayson de malladie contagieuse »[1] mais, souvent, même l’isolement n’était qu’illusion.

Si saint Roch, au XIVe siècle, a réchappé de cette maladie en se « confinant » avec l’aide d’un chien bienveillant qui lui apportait chaque jour sa nourriture, ce qui justifie son patronage, celui de saint Sébastien comme protecteur de la peste et thaumaturge semble dater de la légende popularisée par Jacques de Voragine, dominicain et évêque de Gênes, à la fin du XIIIe siècle[2].  Parue vers 1264, la Légende dorée raconte que ce centurion romain originaire de Narbonne, converti secrètement au christianisme et prosélyte, a accompli de nombreux miracles au nom de la foi qu’il proclamait. Mais il est dénoncé et, vers l’an 187[3], condamné par l’empereur Dioclétien à être attaché à un poteau et transpercé de flèches. Bien qu’il reçût tant de flèches « qu’il fut tout couvert de pointes comme un hérisson[4] », Sébastien est miraculeusement sauvé et soigné par une sainte femme[5]. Obstiné et hors de danger, il n’en aurait pas moins reproché à Dioclétien ses persécutions envers les chrétiens. En réaction, l’empereur le condamne cette fois à être battu à mort et son corps est jeté dans le principal égout de Rome, la Cloaca Maxima, afin d’éviter que ce martyr chrétien ne devienne l’objet d’un culte. Manœuvre vaine puisque Sébastien, dans un rêve, annonce à la chrétienne sainte Lucine où se trouve sa dépouille, dès lors ensevelie et vénérée avec celles des autres martyrs dont saint Pierre et saint Paul… !

Jacques de Voragine raconte aussi que « au temps du roi Humbert », vers 680 environ, l’Italie fut frappée par une épidémie de peste qui faisait des ravages à Rome et à Pavie. Mais un ange révéla que la peste cesserait si l’on érigeait un autel à saint Sébastien. Ce qui fût fait et la peste cessa…

Ce sont les flèches, souvenance de l’ancien culte d’Apollon[6], dieu de la beauté mais aussi de la médecine, dont les flèches mortelles apportaient à la fois mort et guérison, puis ce miracle du VIIe siècle qui expliqueraient que saint Sébastien soit devenu le protecteur de la peste et d’autres maladies contagieuses comme la lèpre… et dernièrement le Covid !


Ainsi et avec humour, une librairie strasbourgeoise met aujourd’hui en vente une petite image de saint Sébastien (Fig. 4) de 12 x 6 cm, utilisant le même modèle que la peinture de Bessans, décrite ainsi : « les coloris sont frais, l’image en très bel état. Peut s’avérer utile en ces temps de pandémie ». !

 Fig. 4, coll. part.

 

 


Avant le XVIe siècle, dans les cycles de peinture murales sur la vie de saint Sébastien, comme celui de Lanslevillard vers 1450 ou celui de la chapelle Saint-Sébastien du Roubion (Alpes maritimes) peint en 1513, on voit successivement tous ses martyres : les flèches, la flagellation, la bastonnade puis l’abandon de son corps dans les égouts de Rome. Mais peu à peu, la représentation préférée est celle de la sagittation[7] ; car, au contraire de la majorité des saints martyrs représentés avec les instruments de leur mort effective- saint Laurent avec son grill, saint Paul avec l’épée qui lui tranche la tête etc... –saint Sébastien est le plus souvent figuré bardé de flèches, et non pas battu à mort, ce qui est pourtant la cause réelle de son décès.

On suppose que ce choix fût dicté par l’originalité de cette représentation et une reconnaissance immédiate et sans équivoque du saint grâce à ses flèches et son corps nu. Car c’est aussi par sa nudité – non nécessaire pour être transpercé de flèches ! - que ce saint se différencie des autres martyrs. Nudité - qui lui sert d’attribut- peu habituelle dans les prudes peintures religieuses : elle est bien sûr réservée au Christ lors de sa Passion ou à saint Jean-Baptiste dans sa jeunesse : Raphaël ou Guido Reni le représentent en jeune berger recouvert de sa seule peau de mouton. Mais Sébastien est le seul à n’être recouvert que d’un tissu autour de la taille[8], très semblable au périzonium du Christ auquel, d’ailleurs, de nombreux peintres au XVe siècle le comparent encore.




Fig. 5, cliché Wikipédia.                                                                                            

 

Ainsi en Toscane, la fresque de Benozzo Gozzoli (1420-1497), peinte en 1466 dans la Collégiale de Santa Maria Assunta à San Gimigniano (fig.5), montre à la fois un « saint hérisson » et surtout par son hiératisme, son aspect physique, un saint Sébastien très proche du Christ supplicié.





Fig. 6, cliché Wikipédia.


Vers 1480, Andrea Mantegna [9] (1431- 1506) (Fig. 6) représente un homme mûr et souffrant dignement, debout et encore statique, ligoté et adossé à la colonne ; indéniablement, son corps sculptural et athlétique – dans les récits hagiographiques, Sébastien est décrit comme athleta christi - est peint avec attention comme si la beauté physique était un barrage contre les terribles tourments et dommages infligés par les maladies comme la peste[10]. Peu à peu, avec la représentation des affects qui s’accentue et se théâtralise, le corps du saint « s’arque », se contorsionne autour de l’arbre ou de la colonne de son supplice.

 


Fig. 7, cliché Wikipédia.

L’image qu’en fait en 1525 Giovanni Antonio Bazzi, dit Le Sodoma (1477-1549), sur l’étendard qu’il peint pour la Compagnie des Archers à Sienne[11] (Fig. 7), est celle d’un jeune homme, au visage presque féminin. Son corps parfait – comme en mouvement- suit la forme de l’arbre auquel il est attaché, soulignant l’intensité du drame. Même si le buisson de flèches de B. Gozzoli a été remplacé par deux seules flèches, dont celle qui transperce son cou, il n'en reste pas moins que la souffrance de ce gracieux jeune homme - Sébastien pleure- reste encore perceptible.

Et la lecture homoérotique de ces peintures d’un corps masculin, nu et comme abandonné, est très tôt indéniable- probablement dès le XVe siècle -. Elle devient évidente pour les artistes de la fin du XVIe et du XVIIe siècle, comme Maarten de Vos[12], Le Greco[13], Rubens[14]ou Jusepe de Ribera[15] ou bien d’autres en Europe, qui favoriseront la représentation d’un beau jeune homme nu, comme indifférent à la douleur, à celle de la représentation cruelle d’une mise à mort[16].

 

Saint Sébastien en Maurienne

Revenons dans la vallée de la Maurienne.

Fig. 8, cliché Wikipédia.

 D’abord à Lanslevillard, en 1475, dans la chapelle Saint-Sébastien où se déploient, de facture très semblable à celles de la chapelle Saint-Antoine à Bessans, les scènes de la vie du Christ et du saint (Fig. 8). Parmi les dix-sept « cases » réservées au saint, deux s’intéressent à son martyre : la première le représente en « saint hérisson » entouré des quatre archers qui lui décochent des flèches, horizontalement plantées (!) et la seconde lors de la bastonnade qui le tuera. Dans cette chapelle montagnarde[17], le saint conserve encore une posture hiératique - il semble nous regarder, nous faisant témoin de son martyre- et la barre horizontale sombre peinte sur le fond bleu souligne l’assimilation du saint martyr au Christ crucifié. Cette iconographie « digne » se retrouve encore dans la peinture murale qui accueille les fidèles sur le fronton de la chapelle de Bessans, bien que datée de 1846[18]. En revanche, la peinture à l’intérieur de la chapelle est, elle, d’inspiration beaucoup moins « sage ».

 Le Martyre de saint Sébastien avec saint Jacques le majeur, daté sur la toile de 1648, est d’un peintre et de provenance inconnus bien qu’il soit possible, au vu de son format qui s’adapte à la voûte, que la peinture ait été commandée pour la chapelle par la communauté villageoise ou bien par un donateur ayant peut-être miraculeusement réchappé de la peste ?[19]

 

Une iconographie d’origine munichoise

 Comme pour beaucoup de peintures d’églises paroissiales en France, un modèle issu de la peinture savante a été utilisé pour cette œuvre bessanaise, en l’occurrence une peinture commandée vers 1590 à Hans von Aachen (Cologne 1552- Prague 1615) (fig.9) pour orner un des autels de la toute nouvelle église jésuite de Saint-Michel à Munich, commencée vers 1583 et consacrée en 1597.

 

Fig.9 : photogramme d’un film sur l’église Saint-Michel de Munich. Cf. note 21.

 

 Hans von Aachen (c’est-à-dire d’Aix-la-Chapelle dont sa famille est originaire) est un peintre voyageur se nourrissant d’influences très diverses : très tôt, à vingt-deux ans, il voyage à Florence, Rome et Venise, s’installe en 1588 en Allemagne, à Munich puis Augsbourg. Vers 1601, il est à Prague, travaille dès 1610 comme peintre de cour de l’Empereur Rodolphe II de Habsbourg, Prague où il meurt en 1615[20]. Peintre de portraits, de scènes mythologiques, de tableaux religieux, c’est un artiste maniériste dont les œuvres, aujourd’hui moins fameuses, ont été extrêmement copiées et gravées, entre autres par les membres de la famille des Sadeler, graveurs et éditeurs dont il était proche[21] et qui diffusèrent nombre de ses peintures.

Vers 1590 à Munich, Guillaume V dit Le pieux (1548-1626), duc de Bavière, lui commande

plusieurs peintures de retables pour la nouvelle église des Jésuites, construite à la fois pour enrayer la progression du protestantisme et pour servir de nécropole à sa famille. Un Christ en croix et un Martyre de saint Sébastien sont aujourd’hui, malgré les dommages structurels et de guerre, encore en place dans l’église[22].


Hans von Aachen, pendant ses voyages, a su intégrer les leçons de nombreuses écoles de peinture et le Martyre de saint Sébastien semble influencé- entre autres- par une gravure de 1584 du flamand Julius Goltzius (Anvers 1555- 1601) (Fig. 10) d’après une œuvre de Maarten de Vos (Anvers, 1532-1603) : il reprend la posture des archers ou celle des jambes du saint, les figures de l’empereur Dioclétien et de sa suite…

 Fig. 10: J. Goltzius, coll. Rijksmuseum, Amsterdam.

 

H. von Aachen réorganise ces emprunts pour son propre tableau en déportant le corps du martyr vers la droite, modifie la place du bras gauche qui dessine désormais une courbe très maniériste qui suit celle du cadre tandis que l’autre bras est encore retenu par une branche de l’arbre. Les nombreux archers et les soldats romains occupent toute la partie gauche du tableau tandis qu’au centre et au second plan, caracole l’Empereur romain qui assiste au martyre. Dominant la scène, six chérubins, dans un rai de lumière symbolisant Dieu le Père, présentent la palme et la couronne de laurier du martyr.

Très admirée, la peinture monumentale est vite gravée pour diffusion.



Fig. 11, J. Sadeler, coll. PESSCA.                                                            Fig. 12, J. Müller, coll. Metropolitan Museum, N.Y.


On connaît aujourd’hui deux gravures réalisées vers 1600 (Fig. 11 et 12) :  l’une, très rare dans les collections, signée dans l’image Jus. Sad. Excud., donc Justus Sadeler [23] (Anvers 1583- Leyde 1620) et dans le sens du tableau (saint Sébastien à droite). L’autre, présente encore dans de nombreuses collections muséales, est signée de Jan Harmensz Müller (Amsterdam 1571-1628), et inversée puisque saint Sébastien est désormais à gauche.

 Dans chacune des deux gravures, très semblables, le même texte, la foule d’angelots réduite à un seul chérubin, nous permettent de supposer que l’une est la copie de l’autre et que l’un des deux graveurs a eu la « paresse » de graver le motif à l’envers ce qui, reconnaissons-le, est particulièrement ardu. La proximité des Sadeler avec le peintre et leur réputation, le fait que la gravure garde le sens du tableau pourrait nous orienter vers la primauté de la gravure de Justus Sadeler. On sait que le graveur né à Anvers, est d’abord actif à Munich jusque vers 1596 avant de s’installer à Venise en 1601, où il ouvre boutique et représente sa famille.

 Quoi qu’il en soit, ces deux gravures, très diffusées dans l’espace européen mais aussi bien au-delà, servirent de modèles à de très nombreuses peintures ou sculptures de saint Sébastien.  


Ainsi, la cathédrale Saint-Jacques de Antigua Guatemala (Amérique centrale), conserve une sculpture polychrome de Juan de Chavez[24] (Fig. 13) directement inspirée de la gravure du tableau munichois : il est fort probable que la gravure a voyagé avec d’autres, souvent rassemblées dans des albums de modèles, des Flandres vers l’immense empire colonial espagnol.

Fig. 13, cliché PESSCA.

 




Fig. 14, Varsovie, cliché Wikidata. Fig. 15, MBA Tours, cliché M.S.   


Le Musée National de Varsovie (Pologne) conserve quant à lui depuis juillet 1946[25], une version réduite du tableau (Fig. 14) (65 x 58,5 cm) datée du début du XVIIe siècle, peinte sur le modèle de la gravure de Jan Muller, le saint étant positionné sur la gauche. Version réduite que l’on retrouve aussi dans les collections du musée des Beaux-arts de Tours mais avec saint Sébastien à droite ! (Fig.15).


 En Savoie, on trouve selon la base Palissy[26], pas moins de trois tableaux d’églises s’inspirant assez précisément des gravures du tableau de van Aachen, ce qui montre leur bonne diffusion dès le XVIIe siècle dans cette province[27].


Fig. 16, La Chambre, cliché CDAOA Savoie.

 

Tout d’abord, un Martyre de saint Sébastien (Fig. 16) conservé dans la Collégiale Saint-Marcel de La Chambre (Maurienne)[28].  De format 125 x 153 cm, il est daté de 1612 et signé dans un phylactère d’un peintre inconnu, F.F.H avec une dédicace « F.F.H laborabat anno oñi 1612 aetatis suae an 47 », c’est à dire « FFH y a travaillé en 1612 à l’âge de 47 ans ». Puisque saint Sébastien est à droite[29], il s’inspire très probablement de la gravure de Justus Sadeler qu’il copie fidèlement. La collégiale Saint-Marcel est depuis le XIVe siècle gérée par les Cordeliers, des Franciscains français qui possèdent aussi, à côté de l’église, un couvent, un hôpital et une léproserie. La présence d’une peinture de saint Sébastien, protecteur et guérisseur de la peste ou de la lèpre, n’est donc pas surprenante dans cette église.



Fig. 17, Bessans et détail, cliché MS.

Peint en 1648 par un artiste inconnu, de format 343 x 303 cm, le Martyre de saint Sébastien (Fig. 17) de Bessans[30] est – peut-être- une copie directe de l’œuvre de La Chambre dont la renommée a suivi la vallée : le peintre pourrait s’en être inspiré sans l’intervention de la gravure de Sadeler. Pour répondre à une probable commande dont on ne connaît pas le mécène, la peinture, de bonne facture, a subi de nombreuses simplifications et modifications : saint Sébastien est désormais transpercé de quatre flèches ce qui théâtralise son martyre, les archers ne sont plus que trois, des remparts protègent une forteresse au sommet d’une colline et Dioclétien et sa suite sont devenus quelques silhouettes dans le lointain, esquissées en blanc[31]


Fig. 18.

Mais la transformation majeure est la disparition des soldats du premier plan qui sont remplacés par la figure pensive d'un saint, assis, la main appuyée sur la tempe et le regard fixant le spectateur (Fig.18).

Jusqu’alors pensé comme étant saint Jacques le Majeur en raison de la coquille sur son manteau, il se pourrait tout à fait qu'il soit saint Roch qui accompagne alors son compère habituel. En effet saint Roch, jeune médecin de Montpellier, est parti en pèlerinage vers Rome, ce qui justifie la présence de la coquille. Quant aux Évangiles qu’il tient devant lui, c'est un attribut rare dans son iconographie. Cependant, ses hagiographes racontent que Roch serait né avec la croix gravée sur sa poitrine et qu’en tout lieu, « très dévot en nostre seigneur Jesus Crist», il aurait observé charité et dévouement pour les malades en suivant l’exemple du Christ son modèle, la Bible étant alors son livre de référence. (Voir PHELIPOT, Jehan, La vie et legende de monseigneur saint Roch, vray preservateur de pestilence, Paris, Jean Herouf, 1494. Transcription Pierre Bolle, à consulter sur https://www.sanroccodimontpellier.it/wp-content/uploads/2018/11/9-Jehan-Phelipot-1494-c.pdf )


coll. MBA Strasbourg.

Ainsi, Giambattista Tiepolo (1696-1770), dans sa série de vingt-deux tableaux sur la vie de saint Roch, probablement peinte pour la Scuola di san Rocco à Venise, représente dans l’un d’eux, le saint dans son refuge, attendant la guérison et lisant la Bible ouverte devant lui.

Il est donc envisageable que le peintre de Bessans, copiant le tableau de la Collégiale de La Chambre, ait voulu rajouter dans le tableau la figure de saint Roch, donnant ainsi aux Bessanais une protection supplémentaire contre la peste …



Fig. 19, Granier, cliché CDAOA Savoie.

 Une autre peinture conservée en Tarentaise dans l’église Saint-Barthélemy de Granier (Aime-la-Plagne)[33] (Fig. 19), de format 171 x 140 cm, cite aussi le Saint Sébastien de von Aachen. Il est très probable que le peintre inconnu s’est inspiré directement de la gravure de Müller, donc avec le saint à gauche. Cependant, il a modifié l’œuvre en supprimant les soldats du premier plan et l’angelot pour le remplacer par une Vierge des Sept Douleurs[34]. Assise dans les nuées, elle observe la scène du martyre de ce saint, souvent assimilé à son fils, qui la regarde en retour.  Un rai de lumière semble relier la main du saint avec la Vierge… Là encore, la raison de cette modification est obscure et tient probablement à la commande.

 

Pour conclure

Il est désormais bien connu que de nombreuses œuvres peintes ou sculptées qui ornent les églises savoyardes (et d’ailleurs) ont été copiées sur des modèles savants[35] ; les peintres ou sculpteurs souvent itinérants qui travaillaient pour des fidèles ou des communautés villageoises amenaient avec eux des albums de gravures parmi lesquelles les clients pouvaient choisir, quand la présence d’une œuvre vue dans le village voisin ne servait pas à orienter le choix ! Bien sûr, ces modèles pouvaient aussi être modifiés, au gré des demandes mais aussi de la capacité des peintres…

Et la peinture du Martyre de saint Sébastien de Bessans ne déroge pas à ce procédé : si elle raconte les pérégrinations de ce modèle munichois grâce aux gravures qui en ont été faites, de Munich jusqu’en Savoie puis à l’intérieur même des vallées savoyardes, elle montre aussi le goût de l’époque où elle a été conçue : car selon les modes, les Saint Sébastien des églises s’inspiraient de modèles plutôt flamands ou plutôt italiens, comme ceux de Maarten de Vos ou Jacopo Palma le Jeune, modèles que l’on retrouve dans les œuvres de la base Palissy.

La peinture révèle aussi le choix du mécène ou de la communauté qui l’a commandée et qui a souhaité toutes les modifications faites sur le modèle original. Il ne faut pas oublier aussi, que selon les aléas, les toiles pouvaient aussi changer d’affectation et être déplacées dans une autre chapelle ou église…

Mais il n’en reste pas moins que toutes les raisons et les chemins, bien qu’en partie mystérieux, qui ont conduit cette toile dans cette petite chapelle bessanaise, restent passionnants.

 

 

Martine Sadion avec le concours de Philippe Raffaelli, conservateur des AOA de la Savoie et, à Bessans, de Hélène et Léon Personnaz de Bessans Jadis Aujourd’hui.                         


[1] DUC, Jean-Pierre, L’héritage, monographie de la commune de Granier sur Aime, Académie de la Val d’Isère, 1994.

[3] Ou 287 selon les versions.

[4] Voir note 2.

[5] Qui devient ensuite dans les récits, sainte Irène.

[6] Dieu de la médecine chez les Romains, ses flèches chez Homère, apportent la peste qu’il peut en retour guérir.

[7] Mise à mort à l’arc. Du latin sagitta : flèche.

[8] Qui « glisse » très souvent d'ailleurs… !

[9] Musée du Louvre, 1480.

[10] Voir notice de l’étendard de saint Sébastien de Giovanni Antonio Bazzi dit Le Sodoma, Musée des Offices, Florence.

[11] Musée des Offices, Florence. Saint Sébastien est le patron des archers.

[12] Gravure de J. Goltzius d’après M. de Vos, 1584, coll. Rijksmuseum.

[13] Saint Sébastien, 1577, Cathédrale de Palencia, Espagne.

[14] Saint Sébastien, 1618, Gemaldegalerie, Berlin.

[15] Saint Sébastien, après 1630, MUMA, le Havre.

[16] Saint Sébastien devient à partir du XIXe siècle une icône gay, tant dans la littérature, la photographie ou la peinture. Karim Ressouni-Demigneux, Dictionnaire des cultures Gaies et Lesbiennes, sous la direction de Didier Eribon, Éditions Larousse, 2003.

[17] Comme d’ailleurs dans toutes les chapelles des Alpes-Maritimes, peintes par des artistes d’origine piémontaise, comme Saint-Etienne-de-Tinée, Roubion ou Roure.

[18] Ce qui pourrait correspondre en fait à la date de la réfection de la chapelle et non à sa construction.

[19] A Combloux (74), au XVIIIe siècle, une peinture de Saint Sébastien et saint Roch a été ramenée de Vienne en Autriche « où il négociait » et commandée à « ses propres frais » par François Gouttro, un paroissien reconnaissant. cf. Base Palissy, notice PM74001430.

[20] Les dates de ses voyages différent d’un auteur à l’autre, elles sont donc données à titre indicatif…

[21] Van Aachen peint vers 1591 pour Jan I Sadeler, graveur de Rodolphe V jusqu’en 1595, une crucifixion que Justus et Raphaël Sadeler vendront en 1611. Cf Sénéchal, Philippe, Justus Sadeler, print publisher […], in Print quaterly revue, vol. 1, mars 1990.

[22] Une visite de l’église peut être visionnée sur https://panorama.erzbistum-muenchen.de/Dekanat-Innenstadt/jesuitenkirche-st-michael-muenchen.html. L’église subit de nombreux dommages dont l’effondrement du clocher en 1590 qui stoppe la construction et surtout une destruction presque complète pendant les bombardements de la Seconde guerre mondiale. 

[23] Absente des collections consultées, la gravure est apparue dans un catalogue de la salle des ventes Babuino (Rome) en février 2016 (signalée par le blog documenté de Francis Mouton en 2016) ou dans la notice 4025A du site du PESSCA (Project of the engraved sources of spanish colonial art). L’Istituto Centrale per la grafica de Rome (fonds Corsini, inv. FC 40185) possède un tirage du cuivre signé dans l’image Jus. Sad. Excud., mais sans la lettre.

[24] Voir site du PESSCA.

[25] Transféré depuis le dépôt d’œuvres d’art de Cracovie à la fin de la guerre. (Cf. Wikidata)

[26] À consulter sur le site pop.culture.gouv.fr/notice/palissy. On retrouve aussi des tableaux inspirés de van Aachen dans plusieurs départements à Thorame (04), Ramatuelle (04) Oncy-sur-école (91), ou Marigna-sur-Valouse (39).

[27] En outre, Le Musée de Grenoble a reçu un dépôt d’une peinture d’origine inconnue mais qui pourrait venir de l’aire alpine.

[28] Fiche Palissy PM73001022

[29] La peinture permet de faire un report direct et dans le même sens que la gravure-modèle.

[30] Fiche Palissy PM 73000254

[31] Je ne peux m’empêcher de comparer ces silhouettes blanches à celles des personnages en fuite de L’enlèvement du corps de saint Marc du Tintoret (1562) à l’Accademia de Venise. Mais c’est très personnel et la copie n’est pas probable !

[32] Cf. BRUNEL, Julie, Représentation iconographique de Jacques le majeur à l’époque moderne, ENSIBB, 2017.   Et https://www.institut-irj.fr/Le-portrait-de-saint-Jacques-de-Flumet-complement-d-enquete-lettre-155_a615.html.

[33] Fiche Palissy, PM73001022. L’œuvre a subi une forte détérioration en bas à gauche. Le retable principal de l’église, dédié à saint Barthelemy, comporte dans sa partie supérieure, une statuette de saint Sébastien avec le bras droit levé : en 1677, le sculpteur valsesian de ce retable, Jacques-Antoine Todesco, aurait pu faire appel à un autre modèle très utilisé le Martyre de saint Sébastien de Jacopo Palma, gravé par Aegidius Sadeler (coll. Rijksmuseum)

[34] Transpercée des sept épées symbolisant les douleurs qu’elle a éprouvées pour son fils. En référence à la prophétie de Siméon (Luc 2, 35) « toi aussi, une épée te transpercera l’âme… »

[35] Voir Martine Sadion, Histoire(s) 4, Les canevas des chapelles, d’après Murillo ou Raphaël. https://bja-bessans.fr/wp-content/uploads/2022/06/Histoires-4-Canevas-.pdf; Bessans, jadis, aujourd’hui, revue, n°82, Les peintures du chœur de l’église de Bessans ; La rubrique des patrimoines de Savoie, revue, n°45, juillet 2020, Les peintures de La Sainte Famille en Maurienne.

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1 Comment


Guest
Jul 25

Dentelle de haute précision, comme toujours avec Martine Sadion qui décrypte les parcours fabuleux de l'imagerie... Merci !

Nelly

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