Saint Nicolas ressuscitant les petits enfants, 1847.
Saint Nicolas ressuscitant les petits enfants (Fig. 1), unique toile d’inspiration religieuse de Courbet, datée sur la peinture de 1847, a probablement été peinte lorsque Gustave Courbet était à Ornans en automne. Cependant, la peinture n’a été commandée officiellement qu’en janvier 1848 par le maire de Saules[1], commune distante de cinq kilomètres d’Ornans, pour orner le maître-autel de l’église du village dédiée à saint Nicolas. Mesurant presque trois mètres sur un mètre cinquante, l’œuvre, avant son transport récent au Musée Courbet, était entourée de deux tableaux représentant saint Vernier et saint Isidore, tous deux semblant adorer saint Nicolas placé entre eux (Fig. 2). Patrons respectifs des enfants, des jeunes gens à marier, des commerçants, des vignerons et des laboureurs, le choix de ces trois saints montre les principaux intérêts des Saulais au XIXe siècle en grande majorité paysans, vignerons[2] et artisans.
L’auteur des deux peintures entourant Saint Nicolas est Claude-Antoine Beau (Besançon 1792-Paris 1861), professeur au Petit Séminaire d’Ornans où était scolarisé Gustave Courbet de 1831 à 1837 et son premier professeur[3]. Il a peut-être encouragé la commune de Saules à passer commande à son élève qui, de plus, était un voisin.
Gustave Courbet a choisi de représenter le saint en pied, coiffé de sa mitre d’évêque, vêtu de sa chape dorée et tenant sa crosse dans la main gauche. De la droite tendue la paume vers le bas, il bénit les enfants dans le saloir.
Cette iconographie du saint est une des plus populaires et habituelles dans les églises des villages. En effet, si l’on consulte la base Palissy[4] répertoriant les mobiliers d’églises de France, la grande majorité des Saint-Nicolas, peints ou sculptés, montre l’évêque debout et le miracle des enfants. Cette iconographie du saint en pied et des enfants dans le saloir est adoptée aussi par les images populaires des XVIIIe et XIXe siècles avec des variantes : la main bénissant peut avoir les deux doigts vers le ciel ou être tendue, paume vers le haut ou le bas, les enfants dans le saloir prier le saint ou essayer de sortir du baquet/saloir. Certaines images comme celles de Chartres et d’Épinal, en s’inspirant de modèles parisiens, ont aussi représenté en-sus un bateau. L’image étant appelée à voyager, elle pouvait tout à fait être vendue au bord de la Loire ou en Bretagne et protéger des marins.
Ainsi, vers 1822, en copiant une taille-douce de Louis-François Genty, éditeur 33 rue Saint-Jacques à Paris vers 1814 (Fig. 3), le graveur François Georgin taille en bois pour Pellerin à Épinal un Saint Nicolas (Fig. 4) bénissant les enfants dans leur baquet dans un intérieur et devant une ouverture voûtée, architecture que l’on ne retrouve dans aucune autre image populaire du saint: Cette image spinalienne est plus vraisemblable comme inspiration que la bisontine qu’avait proposé Michael Fried[5]. Au loin, une nef croise sur la mer. Pellerin rajoute à l’image parisienne copiée, deux cantiques et une oraison.
Dans la peinture de Courbet, on retrouve effectivement la posture du saint la main tendue, les enfants et l’architecture de voûte. Cependant, Courbet y ajoute ses propres références. Il demande à son très barbu ami d’enfance Urbain Cuenot (1820-1867) de poser ; il en avait fait le portrait en 1846[6]. Ainsi le saint, d’un personnage céleste, se matérialise et prend chair. Le peintre a assimilé les leçons des peintres espagnols, comme Francisco de Zurbaran ou Jose de Ribera qu’il vient admirer au Louvre dans la Galerie espagnole[7] rassemblée par Louis-Philippe.
Henri Blaze, homme de lettres, lorsqu’il écrit une critique sur les peintres présentés dans la Galerie pour la Revue des deux mondes en 1837[8] dit : « Chez l’Espagnol, la femme vous préoccupe plus que la Mère du Christ ». Et c’est bien l’effet que veut Gustave Courbet dans ce Saint Nicolas à la fois classique par son iconographie inspirée par les représentations les plus populaires mais aussi résolument et déjà peinture d’un « homme réel». Comme les Espagnols, il soigne le rendu des tissus, la broderie d’or de la chape, le satin blanc de la mitre ou le métal de la crosse. Les enfants sont comme à l’habitude dans leur saloir : l’un d’eux supplie le saint, un autre est peu visible en l’état de l’œuvre. Mais le peintre fait œuvre d’originalité en peignant le troisième assis à l’extérieur, ventre rond et visage étonnamment adulte : l’enfant semble nous prendre à témoin du miracle.
Courbet place aussi le saint dans une architecture, une colonne isolée à chapiteau corinthien et une voûte, voûte que l’on retrouve donc dans l’image parisienne de Genty et de Pellerin à Épinal. L’évêque Nicolas (Patare 270-Myre 345) ayant été un fervent défenseur du christianisme[9] – il aurait participé au Concile de Nicée convoqué en 325 par Constantin et affronté Arius et son hérésie – l’architecture pourrait faire référence au Temple d’Artémis à Myre que Nicolas, luttant contre le paganisme, avait fait détruire vers 344. Gustave Courbet peint aussi en arrière-plan une rotonde qui se devine dans la végétation et pourrait représenter le temple dédié à l’empereur romain Galère à Salonique (Thessalonique aujourd’hui), temple transformé en église sous Constantin 1er, personnage très présent dans la vie du saint. Ce monument est le seul à notre connaissance dont l’architecture en rotonde serait susceptible de convenir mais ce ne sont que conjectures.
En revanche, Saules étant à l’intérieur des terres, point n’est besoin de montrer le bateau sur la mer ; Courbet ne retient pas l’allusion à ce miracle.
Encore une fois, Courbet ne fait aucune référence à ses sources iconographiques. Mais la comparaison entre l’image d’Épinal, diffusée dans tout l’Est de la France, et la peinture de Saules peut permettre d’envisager une possible source.
Mais Courbet a-t-il volontairement utilisé et agrémenté l’image de 1822 en supprimant l’épisode maritime ?
Cette iconographie lui fût-elle imposée par la commune qui lui passe commande et qui souhaite un Saint Nicolas reconnaissable au premier coup d’œil par les paroissiens qui connaissent les images populaires du saint ?
L'oeuvre est une commande et cette possibilité doit être envisagée.
Martine Sadion
[1] La commande a été probablement faite en 1847 mais régularisée en début 1848. FERNIER, Robert, Une œuvre inconnue de Courbet, in Bulletin des amis de Courbet, n°4, 1948. [2] La crise du Phylloxera de 1870 n’a pas encore ravagé le vignoble franc-comtois. [3] Gustave Courbet, cat. exp., Musée d’Orsay, RMN, 2007. [4] Consultable sur la plateforme pop.culture.gouv.fr [5] Michael Fried in Le réalisme de Courbet, Gallimard, 1990. [6] Coll. Musée Courbet, Ornans. Il est envoyé au Salon de 1847 et refusé. HADDAD, Michèle, Baudelaire et Courbet, quelques précisions, 1997, consulté sur Jstor.org [7] La galerie est ouverte le 7 janvier 1838, et ferme en 1848. TAYLOR, Justin, Notice des tableaux de la Galerie espagnole, exposés dans les salles du musée royal au Louvre, Paris, Musée du Louvre, 1838. [8] BLAZE, Henri, « Galerie espagnole au Louvre », Revue des deux mondes, période initiale, t. 10, 1837, p. 532-542. [9] MARAVAL, Jacques, La politique religieuse des empereurs de Constantin à Herclius […], in Le Christianisme de Constantin à la conquête arabe, Paris, PUF, 2005. Pour la légende de saint Nicolas, voir La Légende dorée de Voragine ; Louis Réau, Iconographie des saints etc….
(Gentil) avertissement: ce texte (à l'origine partie d'un M2, UNISTRA) et les idées qu'il développe sont déposés et donc protégés. Toute utilisation devra donc préciser son origine: SADION, Martine, Les images populaires et Gustave Courbet, 3/15, mis en ligne sur uneimagenemeurtjamais.com, 2021.
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